Fake news, perception publique, et désintermédiation de l’information médicale : les outils d’intelligence artificielle générative bouleversent l’écosystème de la santé. Pour les laboratoires pharmaceutiques, la question de leur image sur ces plateformes devient un enjeu majeur, entre risques de désinformation et opportunités inédites de communication. Décryptage.
Dans un premier temps, il convient de redéfinir ce que l’on entends par e-réputation. Il s’agit de la réputation, l’opinion commune (informations, avis, échanges, commentaires, rumeurs…) en ligne d’une entité (marque), personne morale (entreprise) ou physique (particulier). Elle n’est pas qu’une affaire de communication et d’image, elle peut avoir des conséquences directes sur le business et le chiffre d’affaires d’une entreprise. Comme le disait Warren Buffet, « Il faut 20 ans pour bâtir une réputation et cinq minutes pour l’anéantir. Si vous y pensez, vous agirez différemment ».
Nous avions vu dans un précédent article qu’à l’heure de l’omniprésence des réseaux sociaux et du pouvoir réputationnel des internautes, il est indispensable pour un industriel de santé de déployer une véritable stratégie de gestion de sa réputation en ligne ou e-réputation. À l’ère des IA génératives et de la prolifération de contenus générés, il est primordial pour les laboratoires pharmaceutiques d’intégrer cette dimension dans la gestion de leur e-réputation.
Avec l’émergence d’outils comme ChatGPT, Gemini ou Claude, des millions d’utilisateurs ont désormais accès à une information en langage naturel, accessible 24h/24, sans filtre, ni nécessité de vérifier les sources. Une requête comme « Quels sont les effets secondaires du vaccin X ? », « Est-ce que tel médicament est dangereux ? », ou même « Peut-on faire confiance à tel laboratoire ? » génère instantanément une réponse synthétique, persuasive, mais dont la fiabilité reste parfois sujette à caution.
Le problème ? Ces IA se nourrissent de données existantes en ligne. Si les laboratoires font l’objet de critiques ou de scandales passés — même anciens ou inexacts — ces éléments peuvent être repris, amplifiés ou sortis de leur contexte. La e-réputation devient donc automatisée, désintermédiée, et exposée à un public de masse.
Contrairement à la presse ou aux réseaux sociaux, où les entreprises peuvent réagir, modérer ou rectifier, l’IA générative propose une synthèse figée à un instant T. Pour les laboratoires pharmaceutiques, cela signifie que leur image est souvent façonnée par des sources externes, comme des articles scientifiques ou de vulgarisation, des publications militantes ou complotistes, des discussions sur des forums de patients, des décisions judiciaires ou affaires anciennes ou des données de pharmacovigilance, parfois interprétées sans nuance.
Résultat : un laboratoire peut être perçu comme « peu fiable » ou « controversé » par une IA… sans jamais avoir eu la possibilité de corriger ou nuancer cette perception.
On peut citer comme exemple GSK et les traitements contre l’asthme. Des pneumologues ont signalé que certaines IA présentaient les corticoïdes inhalés de GSK comme « potentiellement dangereux à long terme », sans rappeler leur rôle vital dans la gestion de l’asthme sévère. Cette vision partielle a pu inquiéter des patients, incités à réduire leur traitement sans avis médical. GSK a renforcé sa stratégie de publication de contenus officiels pour tenter de rééquilibrer l’information indexée.
Autre exemple du côté de Pfizer. Fin 2023, plusieurs utilisateurs ont rapporté sur les réseaux sociaux que certaines IA génératives répondaient à la question « Peut-on faire confiance à Pfizer ? » par des formulations ambiguës, mentionnant des polémiques autour du vaccin contre la Covid-19, sans préciser le consensus scientifique établi. Ces réponses ont été reprises par des comptes anti-vaccins pour appuyer leur discours complotiste, alors même que l’information relayée par l’IA était issue de sources non validées, parfois même de blogs militants. Pfizer, limité par ses obligations légales de communication directe au public, n’a pu que rappeler l’importance de consulter des sources officielles, sans pouvoir corriger directement l’IA.
Comme dans d’autres secteurs d’activité, la question de la transparence des données utilisées par les IA est donc cruciale. Les laboratoires pharmaceutiques sont déjà soumis à des règles strictes de communication (notamment vis-à-vis du grand public), ce qui limite leur capacité à intervenir dans la sphère des IA génératives. À l’inverse, ces outils ne sont pas (encore) régulés de manière stricte sur la véracité ou l’objectivité de leurs réponses.
Un enjeu stratégique pour les laboratoires : surveiller et agir
Face à ces évolutions, les laboratoires doivent adapter leurs stratégies pour gérer efficacement leur e- réputation. Cela passe par des actions comme le déploiement de stratégies de social media intelligence incluant cette dimension d’écoute et de compréhension du comportement des internautes via les outils d’IA génératives. Une veille automatisée permet de détecter les mentions du laboratoire et de ses produits générés par l’IA.
Il convient également de « nourrir » ces outils d’IA en publiant régulièrement du contenu médical vulgarisé portant le nom du laboratoire, d’optimiser le SEO des contenus scientifiques et institutionnels du laboratoire, ou de publier des « position papers » ou livres blancs visant à être indexés par ces solutions d’IA.
L’intelligence artificielle, source de la problématique, peut aussi être la solution. Comme le souligne Adel Mebarki, CEO de Foresight Data Agency, dans une tribune pour le Club Digital Santé, « le numérique et l’IA sont des outils puissants qui, lorsqu’ils sont bien utilisés, permettent d’identifier rapidement les fausses informations et d’en limiter la diffusion. L’analyse des réseaux sociaux permet de retracer l’origine d’une rumeur, d’étudier sa propagation et de comprendre les mécanismes qui la rendent virale. L’IA, de son côté, peut aider à détecter des signaux faibles et à identifier les narratifs trompeurs avant qu’ils ne se généralisent. » (1)
À l’ère des IA génératives, la réputation d’un laboratoire ne se joue plus uniquement dans les médias traditionnels ou en ligne, ou les congrès médicaux, mais aussi dans les réponses produites par un chatbot utilisé par un patient, un pharmacien, ou un influenceur santé. Ce changement de paradigme impose aux acteurs pharmaceutiques de repenser leur présence numérique, avec plus de pédagogie, de réactivité, et de stratégie. La gestion de la e-réputation via les IA devient donc indispensable !
Rémy Teston, Expert e-santé, Buzz E-santé